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L'Etat paria au Liberia

By Moriba Magassouba, Panafrican News Agency, 26 December 2000

Monrovia, Liberia - M. Joseph N. Cornomia, représentant du comté de Bong à la chambre basse du parlement, ne décolère pas contre le gouvernement du chef de l'Etat libérien, le président Charles Taylor.

Nous n'avons pas de loi au Liberia, c'est une jungle où seul le plus fort peut survivre ! s'est-il plaint après la signature d'une circulaire interdisant aux ministres et directeurs de sociétés d'Etat de se présenter devant la chambre des représentants, sans l'autorisation expresse du chef de l'Exécutif.

Depuis son arrivée au pouvoir après les élections de la peur du 17 juillet 1997, Charles Gankey Taylor a pratiquement dépouillé le Capitole (siège du Parlement) de toutes ses prérogatives constitutionnelles.

L'ancien chef de guerre serait en train de reproduire le style politique aux tendances dictatoriales, de feu le président Tubman après avoir concentré tous les pouvoirs entre ses mains, regrette M. Patrick Jlay, un éminent juriste libérien.

Il se soucie comme d'une guigne des critiques d'un Parlement croupion dont les membres ne sont nullement à l'abri d'une bastonnade, comme cela fut le cas, en 1998, lorsque feu le vice-président Enoch Doguelia (décédé il y a quelques mois à Abidjan dans des circonstances mystérieuses), avait ordonné le passage à tabac d'un député dont le véhicule gênait... son cortège !

Comment pouvons-nous adopter le projet de budget 2000/2001 que l'on vient de nous soumettre sans avoir, au préalable, entendu le ministre de l'Economie et des Finances et le directeur du budget qui ont refusé de se présenter devant nous ? s'interroge, avec une pointe d'amertume M. James Momoh, le représentant du comté de Grand Cape Mount et membre de la commission des voies, moyens et finances à la Chambre basse.

Pour M. Momoh, pourtant membre du National Progressive Party (NPP, au pouvoir), mais connu pour son franc-parler, le président Taylor est un sérieux problème pour le progrès du pays !.

Un avis que partagent bon nombre de ses collègues dont M. Isaac Kollah représentant du comté de Rivercess et président de la commission des Finances de la Chambre.

S'il y a un domaine où le chef de l'Etat libérien ne souhaite pas voir le parlement fourrer son nez, c'est bien celui de certaines sociétés d'Etat comme la Forestry Développement Authority, l'Agence pour le développement forestier dirigée par son propre frère M. Bob Taylor.

Bob Taylor n'a jamais daigné mettre les pieds au Capitole en dépit des nombreuses convocations qui lui ont été adressées.

Cette agence, qui est gérée comme une structure privée, ne fait l'objet d'aucun contrôle de la part du ministère de tutelle et encore moins du parlement.

Elle génère pourtant, grâce à l'exploitation sauvage du bois, des revenus estimés à plusieurs millions de dollars US par an, qui ne sont pas, bien entendus, reversés à un trésor public au bord de l'anémie.

Les contrats sont signés avec des sociétés malaysiennes dont Oriental Timber LTD ou indonésiennes, sans l'accord du parlement qui n'a jamais eu en sa possession, la moindre copie de ces mystérieux contrats qui relèvent pratiquement du secret d'Etat.

Ces contrats ont entraîné un pillage systématique qui n'épargne même plus les forêts classées dont certaines sont sur le point de disparaître complètement.

Même la forêt ivoirienne servant de frontière naturelle avec le Liberia, subit, par moments, les incursions des exploitants venus de l'autre côté de la frontière.

Selon un diplomate occidental en poste à Monrovia, l'exploitation du bois rapporte aujourd'hui beaucoup plus d'argent à M. Taylor, que le trafic des fameux diamants du sang.

Nous aurions pu fermer les yeux sur ces violations répétées de nos prérogatives constitutionnelles qui permettent à l'Exécutif de gérer ce pays à sa guise sans avoir à rendre de comptes, si elles se traduisaient en termes d'amélioration des conditions de vie de nos populations.

Hors, cela est loin d'être le cas estime un autre membre de la Chambre qui a tenu à garder l'anonymat.

Les prix des denrées de première nécessité prennent régulièrement l'ascenseur. Le taux de chômage tourne autour de plus de 75 pour cent de la population active et affecte aussi bien les cadres que les ouvriers.

Le paiement de salaires de misère est toujours différé et l'Etat n'a pu payer, fin novembre dernier, des arriérés de quelque sept mois à ses agents.

La pénurie d'eau potable, l'électricité rare et chère en plus de l'absence d'éclairage public et l'impraticabilité des routes rend difficile l'accès de certaines régions presque totalement isolées du reste du pays.

Aujourd'hui encore, il faut à un camion deux à trois semaines pour aller de Monrovia à Harper, deux localités pourtant distantes seulement de 575 km !

Nous sommes désespérés, confiait Mme Alfreda Eunice Cooper, fonctionnaire, mère de trois enfants, à notre confrère The Analyst.

Mme Cooper qui ne gagne que 800 dollars libériens (environ 15.000 francs CFA), c'est-à-dire tout juste de quoi payer un sac de riz de 50 kg, interpelle la presse : Vous, les journalistes devez demander au président Taylor de dire comment je dois faire pour nourrir mes enfants et les envoyer à l'école avec 800 dollars. Dites-lui que nous sommes en train de mourir. Pourquoi est-ce qu'il ne vient pas lui-même nous demander, à nous les pauvres, comment nous nous en sortons ? .

Le président Taylor, qui vient d'annoncer le paiement de trois mois d'arriérés de salaires grâce à une rallonge budgétaire de Taïwan, son principal et unique bailleur de fonds, rejette la responsabilité des difficultés que connaît son pays sur l'état de guerre qui prévaut à ses frontières nord avec la Guinée.

Les autorités libériennes qui affirment avoir dépensé près de 15 millions de dollars US pour des impératifs liés à la sécurité et à la défense depuis la première incursion de dissidents dans le comté de Lofa, il y a quelques mois, n'hésitent pas à mettre en cause la communauté internationale au premier rang de laquelle les Etats-Unis et la Grande Bretagne.

Ces deux pays tiennent Monrovia pour responsable de la poursuite de la guerre en Sierra Leone.

M. Taylor entretiendrait ce conflit pour mieux se livrer au trafic d'armes et de diamant avec les rebelles du RUF (Revolutionary United Front) du caporal Foday Sankoh qui croupit actuellement en prison à Freetown.

Les accusations américaines et britanniques sont infondées et injustes, se défend le chef de l'Etat libérien désormais interdit de séjour aux Etats-Unis de même que les membres de son gouvernement et leurs épouses.

Le président Taylor, qui a demandé aux Nations Unies de déployer des troupes le long de ses frontières avec la Sierra Leone, rend les leaders de l'opposition en exil, dont Mme Eleen Jonhson-Shirleaf et le chef de guerre Alaji Kromah, responsables d'une véritable campagne internationale de dénigrement contre son pays.

Alaji Kromah est accusé précisément d'avoir réactivé son ancien mouvement l'ULIMO-K en Guinée forestière d'où il attaquerait le territoire libérien dans l'unique but de le déstabiliser en le privant du concours financier des bailleurs de fonds.

Les fonds, c'est ce qui manque le plus au Liberia.

En dépit de la gigantesque oeuvre de reconstruction nationale à entreprendre, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) continuent d'exiger de ce pays en ruines, le règlement d'une dette colossale évaluée à près de 3 milliards de dollars US, soit environ 2100 milliards de francs CFA.

Au jour d'aujourd'hui, aucun accord de programme d'ajustement structurel n'ayant été signé avec le FMI, Monrovia n'a reçu le moindre cent de ces institutions financières que les amis de M. Taylor (notamment la France, le Burkina Faso et la Libye) n'ont pu guère fléchir.

Il faut dire que l'image que le régime libérien donne de lui, notamment en matière de respect des droits de l'Homme, n'est pas particulièrement reluisante.

Plusieurs cas d'assassinats, dont ceux du sénateur Samuel Dockie et de son épouse n'ont pas été à ce jour élucidés. Leurs meurtriers, identifiés comme appartenant aux services de sécurité libériens, coulent des jours heureux en Côte d'Ivoire.

Les agressions physiques contre les militants des droits de l'Homme et les journalistes ainsi que les départs en exil forcés des leaders les plus significatifs de l'opposition contre lesquels d'ailleurs un mandat d'arrêt a été lancé pour leur soutien supposé à la dissidence du Nord, ont contribué à l'isolement du régime de M. Taylor dont le pays apparaît, aujourd'hui, comme un Etat-paria.

La dernière attaque en date a eu pour cible l'ex-président intérimaire, Amos Sawyer et remonte seulement au 28 novembre dernier.

A mi-parcours de son mandat qui expire en juillet 2003, le chef de l'Etat libérien est, sans le moindre doute, perçu par la grande majorité des libériens gagnés par le désespoir, comme le principal obstacle au redressement de son pays.

Les électeurs qui, selon Philip Wesseh directeur du quotidien indépendant The Inquirer, avaient porté au pouvoir le le messie sont apparemment restés au bord de la route, plus misérables aujourd'hui que jamais auparavant.