L'enfer quotidien des jeunes esclaves de Douala

By Félix Cyriaque Ebolé, Panafrican News Agency, 18 January 2001

Douala, Cameroun—Des adolescents abandonnés par leurs familles et soumis à toutes sortes d'humiliations et de tâches dégradantes. Face au phénomène, les pouvoirs publics camerounais avouent leur impuissance.

Gladys avait 11 ans lorsqu'elle quittait le domicile familial d'Ekondo Titi, un coin enclavé du sud-ouest du Cameroun, non loin de la frontière avec le Nigeria. Elle en a 15 actuellement.

Ses parents, des culs-terreux sans moyens, heureux de se débarrasser enfin de ce colis qu'ils ne pouvaient ni entretenir ni éduquer décemment, l'avaient confiée à M. Ntonè, un ingénieur agronome qui sillonnait la région et qui promettait à la jeune fille l'école et une vie heureuse.

Dans ce coin isolé et pauvre, la seule évocation de la capitale économique du Cameroun, Douala, suscite bien des rêves. Gladys va enfin pouvoir sortir du trou de la pauvreté. Mais le bonheur promis va rapidement se muer en cauchemar.

Levée à 5 heures du matin, elle doit faire la vaisselle et le ménage, baigner les quatre enfants en bas âge et apprêter leur petit-déjeuner. Le couple Ntonè a également droit à sa part de petites attentions matinales.

La journée, Gladys la passe à aider la domestique dans ses multiples travaux quotidiens (lessive, cuisine, repassage, entre autres).

Le soir, la voici en train de mettre de l'ordre dans une maison que les quatre garnements ont transformée en terrain de jeux. Pour se nourrir, elle doit se contenter des restes de nourriture laissés par les enfants Ntonè.

Un peu plus tard dans la nuit et alors que la maisonnée s'est assoupie, Gladys, qui aura passé la journée à essuyer les blâmes et les coups de ses maîtres, va rejoindre son bout de matelas crasseux dans la cuisine.

Epuisée et sans couverture, elle doit encore se battre contre les moustiques, très nombreux à Douala. Son petit corps est plein de pustules sanguinolentes qu'elle tente tant bien que mal de cacher sous ses guenilles -son unique tenue vestimentaire.

La jeune fille vit son calvaire en silence, n'ayant aucune oreille attentive auprès d'elle. De plus, elle redoute les représailles de ses patrons, qui n'hésiteraient pas à la jeter dehors, dans cette mégalopole où elle ne connaît personne, si jamais elle osait se plaindre.

Par deux fois déjà, elle a subi les assauts sexuels d'un Monsieur Ntonè visiblement ivre. Une infection vaginale s'en est suivie. La maîtresse de maison l'a menacée de mort si jamais elle osait en parler. Quelques antibiotiques achetés au Poteau ont fini par calmer les douleurs.

Papa et maman, loin de se douter de l'enfer dans lequel ils ont embarqué leur rejeton, font même du séjour de Gladys à Douala un motif de fierté dans le village : n'est-elle pas à l'école en ville, haut lieu de la civilisation ?

Mais les mauvaises choses, autant que les bonnes, ont une fin. Aujourd'hui, la petite esclave attend un enfant dont elle ne sait pas si elle est de son bourreau ou de son copain, un jeune tailleur qui l'a tirée des griffes de la famille Ntonè à Bonapriso pour l'installer dans son petit studio de Bépanda.

Comme beaucoup, elle n'a jamais voulu avouer ni son viol, ni les multiples humiliations dont elle a été l'objet durant des années.

Gladys peut s'estimer heureuse : elle est l'exception qui confirme la règle. A Douala, le phénomène de la traite des enfants a pris de l'ampleur depuis une décennie. A.N., un conseiller des Affaires Sociales qui s'est penché sur le sujet, estime qu'une famille sur quatre ici possède son petit homme, de préférence sa petite femme à tout faire, dont la plupart sont des ressortissants de la province voisine du Sud-Ouest.

L'enclavement, la misère du monde rural et la sous-scolarisation ont amené plusieurs parents à renoncer à leurs obligations et à se débarrasser de leurs rejetons à la première occasion.

Pour beaucoup à Douala, posséder son esclave relève du snobisme et constitue une marque de grandeur. Dans cette société où les signes extérieurs d'aisance comptent beaucoup, avoir un employé de maison, même non rémunéré, n'a rien de répréhensible. Au contraire, dénoncer le fait peut être considéré comme un acte de traîtrise.

Il y a plus grave. Dans les gargotes, très nombreuses à Douala, de très jeunes adolescentes tiennent lieu d'appât commercial et sexuel pour les clients. Taillables et corvéables à volonté, la plupart ne sont pas rémunérées, ou doivent se contenter d'un petit pourboire obtenu loin des yeux de la tenancière.

Les services des Affaires sociales avouent leur incapacité à éradiquer ces pratiques dégradantes, tant elles paraissent normales dans le milieu.